L’incroyable résistance des pattes de la crevette-mante
La crevette-mante ou Odontodactylus scyllarus inflige à ses proies des impacts extraordinairement violents. Avec de telles frappes, comment le crustacé ne se blesse-t-il pas lui-même ? Des chercheurs de l’Institut lumière matière (ILM - CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1) et du Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Mans (LAUM - CNRS / Le Mans Université), en collaboration avec Northwestern University, viennent de montrer que ce sont les microstructures particulières du biomatériau composant les massues de la crevette-mante qui lui permettent de résister aux chocs et de sortir indemne de ces attaques.
Les crevettes-mantes sont célèbres pour leurs frappes d’une puissance extraordinaire, capables de briser des coquillages, des moules et même le verre des aquariums. Leurs massues, comparables en force à l’impact d’une balle de petit calibre, se déplacent à très grande vitesse, créant un phénomène de cavitation : l’implosion de microbulles de gaz génère des ondes de choc qui s’ajoutent au choc de la massue, ce qui rend leurs attaques encore plus redoutables. Mais comment ce crustacé parvient-il à encaisser une telle violence sans se blesser lui-même ?
Sous l’impulsion de l'ILM et en collaboration avec le LAUM et Northwestern University, une équipe franco-américaine de chercheurs a percé le secret de cette incroyable résistance : les massues des mantes-crevettes possèdent une structure multicouche qui filtre sélectivement certaines vibrations. En bloquant les ondes de choc nocives issues des impacts directs et de la cavitation, cette architecture naturelle agit comme un bouclier phononique, protégeant l’animal des effets destructeurs de ses propres frappes. Leur étude révèle l’existence d’une région interne de la massue, composée de fibres de chitine torsadées, organisées en couches hélico?dales et périodiques (une structure dite de ? Bouligand ? d’après le biologiste fran?ais Yves Bouligand, cf. figure). Gr?ce à des techniques avancées d’ultrasons générés par laser, les chercheurs ont pu analyser en détail les propriétés phononiques de cette structure – autrement dit, la manière dont elle disperse et atténue les ondes élastiques. Leur découverte montre que cette architecture filtre efficacement les ondes de choc à haute fréquence (dans la gamme des mégahertz), empêchant ainsi les vibrations destructrices issues de l’impact et de l’implosion des bulles de cavitation d’endommager les tissus internes du crustacé.
Ces résultats ouvrent la voie à la conception de nouveaux matériaux bio-inspirés, capables d’absorber et de dissiper l’énergie des impacts. ? terme, cette recherche pourrait révolutionner la conception de revêtements protecteurs et de matériaux phononiques intelligents aux applications variées, allant de l’aéronautique à l’ingénierie biomédicale. Ces résultats sont publiés dans la revue Science.
crevette-mante
Illustration de l’approche expérimentale employée pour caractériser les propriétés phononiques de la massue de la crevette-mante. (A) crevette mante utilisant sa massue pour frapper une coquille [crédit photo : R. Caldwell], (B) massue (vue latérale, entier), (C) coupe transversale de la massue mettant en évidence ses différentes couches. (D et E) Caractérisation multi-échelle par ultrasons laser. La figure E montre la structure dite de ? Bouligand ?. ? Abi-Ghanem
Références :
Does the mantis shrimp pack a phononic shield ? N. A. Alderete, S. Sandeep, S. Raetz, M. Asgari, M. Abi Ghanem, and H. D. Espinosa, Science 387, 659–666 (2025)– Publié le 7 février 2025
Doi :10.1126/science.adq7100
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